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Béatrice Picard est décédée
La comédienne Béatrice Picard s’est éteinte le 9 décembre, à l’âge de 96 ans. On la voit ici lors d'une cérémonie de remise des prix du Gala des prix Gémeaux à Montréal, le dimanche 15 septembre 2019. LA PRESSE CANADIENNE/Graham Hughes L’actrice québécoise Béatrice Picard, décrite comme «l’une des plus vigoureuses bâtisseuses de notre culture» au Québec, est décédée mardi matin à l’âge de 96 ans.
La nouvelle a été confirmée par la famille, notamment dans un message partagé par le Théâtre Duceppe sur sa page Facebook.
«Durant toute sa vie, Béatrice a su conjuguer sa vie familiale avec sa passion pour les arts de la scène et les causes qui lui étaient chères. Il nous semblait donc naturel de partager cette nouvelle avec ses amis(es), ses collègues du milieu artistique et, surtout, avec son public, pour qui elle a eu une pensée jusqu’à la toute fin», peut-on lire dans la publication signée par ses enfants, François, Stéphane, Sylvain et Frédéric.
Comédienne énergique, au physique et à la voix très caractéristiques, elle était pour les plus âgés «madame Bellemare» ou «Angélina», et pour les plus jeunes la voix rocailleuse de Marge Simpson.
Il y a un peu moins d’un mois, l’actrice donnait de ses nouvelles par l’entremise des réseaux sociaux du Salon des aînés de Saint-Jérôme, un événement pour lequel elle avait porté le titre de marraine.
«Il y a un moment que je ne vous ai pas donné de mes nouvelles. Le rythme est un peu plus lent qu’autrefois, et certains jours demandent plus de patience… mais ça va, et surtout, ça continue», déclarait-elle, avant d’indiquer plus loin que «dans quelques semaines», elle reviendra pour «annoncer un nouveau projet».
Actrice extrêmement polyvalente, ouverte à toutes les formes et à tous les genres, passant de la comédie burlesque au théâtre réaliste, Béatrice Picard a occupé le paysage culturel québécois pendant plus de 75 ans.
En 2023 encore, elle était de la distribution du long-métrage de fiction de Guy Édoin «Frontières», dans lequel elle fait une courte apparition.
En 2016, l’octogénaire tournait un court métrage, réalisé par la comédienne Marianne Farley avec Sandrine Bisson. «Marguerite» a raflé plusieurs prix un peu partout dans les festivals du monde, et valu à l’actrice octogénaire le prix de la meilleure interprétation féminine au gala «Prends ça court!» des Rendez-Vous Québec Cinéma de 2018.
Et au printemps de 2017, à 87 ans, elle jouait chez Duceppe la vieille dame espiègle dans «Harold et Maude». Victime d’un malaise sur scène lors d’une matinée pour les élèves du secondaire, elle est remontée sur les planches le lendemain, contre l’avis du médecin, pour offrir les deux dernières représentations de la saison. Elle disait alors qu’elle avait probablement souffert de «fatigue accumulée».
Née à Montréal le 3 juillet 1929, Béatrice Picard amorce sa carrière artistique en 1947, à la radio. Dès le début des années 1950, grâce à la télévision naissante, elle acquiert une grande notoriété en jouant Angélina, amoureuse du «Survenant», dans le téléroman tiré de l’oeuvre de Germaine Guèvremont. Elle sera d’ailleurs en 1958 nommée «Miss radio télévision» — l’équivalent à l’époque des «Métrostar». Dans l’adaptation au grand écran du roman en 2005, Erik Canuel fera d’ailleurs un clin d’oeil à Béatrice Picard en la faisant réapparaître, mais en photo, incarnant cette fois la mère de la nouvelle Angélina (Anick Lemay).
D’abord présente dans les radioromans, Béatrice Picard obtient rapidement des rôles à la télévision lors de l’apparition du petit écran au Québec en 1952. Après son Angélina du «Survenant», à la fin des années 1950, elle poursuit dans les années 1960 avec Ramona Plouffe dans «Le Petit Monde du père Gédéon», Rosette Desgagnés dans «Rue de l’Anse», mais surtout Alice, la femme d’Olivier Guimond dans «Cré Basile».
Plusieurs se souviennent aussi de madame Bellemare, mère du croque-mort Oscar Bellemare (Jean-Louis Millette), dans «Symphorien». Le petit écran lui réserve toujours une place de choix dans la décennie 1970, que ce soit dans «Le Paradis terrestre», «Les Berger», «Les Forges de Saint-Maurice», «Grand-papa» ou «Les Brillant».
Elle a été plus tard dans un chapitre de «L’Amour avec un grand A», qui lui valut une nomination aux prix Gémeaux, dans «Sous un ciel variable», «Virginie», «Un gars, une fille» («la belle-mère») ou plus récemment «Les Jeunes Loups».
Au théâtre, elle fut entre autres de plusieurs productions de «Bonjour, là, bonjour», de Michel Tremblay. Du même auteur, elle a été des «Belles-soeurs» montées par Denise Filiatrault en 1993, ainsi que de «L’État des lieux», mise en scène par André Brassard. Elle a aussi joué Marcel Dubé, Arthur Miller, Gratien Gélinas, Molière…
«Ma tante Aline»
Béatrice Picard a par ailleurs tourné au cinéma, notamment dans «L’Initiation» (1970), «Taureau» (1973), «Il était une fois dans l’est» (1974), tiré de l’univers de Tremblay, «Le Sourd dans la ville» (1987), «Le Nèg’» (2002), «Idole instantanée» (2005) et «Dans les villes» (2006). En 2007, elle obtient son tout premier grand rôle au grand écran, celui d’une vieille dame extravagante, «Ma tante Aline», menacée d’être «placée» dans un foyer.
Aussi très active dans l’art du doublage, elle a prêté sa voix de 1990 à 2023 à Marge Simpson Marguertie dans l’adaptation québécoise du populaire dessin animé américain. C’est aussi elle qui avait prêté sa voix à Marge pour le film tiré des «Simpson», sorti à l’été 2007. Auparavant, elle avait été la voix de la mère de Délima dans la version québécoise des «Pierrafeu».
À la ville, Béatrice Picard a par ailleurs siégé au conseil de l’Union des artistes. Mariée et mère de quatre enfants, elle a aussi été «marraine provinciale» et porte-parole des Petits Frères des pauvres à compter de 2007, comme l’avait été plus tôt sa camarade Juliette Huot.
Dans une entrevue cette année-là, elle se rappelait qu’à 20 ans, on la prévenait que sa carrière ne débuterait qu’à 40 ans; de fait, elle confirmait que ses premiers grands rôles ne lui avaient été offerts au théâtre qu’à cet âge. Cette même année de 2007, qui marquait ses 60 ans de carrière, elle affirmait avoir participé à pas moins de 275 productions théâtrales, autant du grand répertoire que du théâtre québécois et du théâtre d’été. Elle disait avoir incarné 350 rôles au total, sur la scène ou à l’écran.
«Pour le commun des mortels, nous nous amusons», soulignait-elle le 27 mars 2018, alors que le Conseil québécois du théâtre l’avait choisie pour livrer le message québécois lors de la Journée mondiale du théâtre. «Le mot « jeu » fait partie de notre vocabulaire: nous « jouons » au théâtre. Nous exhalons le plaisir de « jouer » au théâtre. Correction: pendant des années, nous travaillons le jeu afin de l’extérioriser adéquatement, avec rigueur et souplesse, avant de nous fondre dans cet ensemble de créateurs, concepteurs, artistes et artisans qui scellent la création théâtrale.»
Béatrice Picard avait été faite membre de l’Ordre du Canada en 1989 et officière de l’Ordre national du Québec en 2012. Une biographie, «Avec l’âge, on peut tout dire», signée Sylvain-Claude Filion, a été publiée en octobre 2018.
«Bâtisseuse de notre culture»
Le Théâtre Duceppe a rendu hommage «à cette grande dame qui a touché le cœur» de nombreux spectateurs. Elle a joué entre ses murs une quarantaine de pièces.
«Bouillonnante d’enthousiasme, vive, vraie, féministe des premières heures et mue par une passion sans répit, elle a su captiver les Québécois(es) par son talent et sa personnalité», a écrit la salle de spectacle sur sa page Facebook.
«Outre son talent et sa passion, sa détermination et son indépendance d’esprit ont fait de Béatrice Picard l’une des plus vigoureuses bâtisseuses de notre culture», ajoute-t-on.
«Tu as été ma tante Mina dans ‘‘C’était avant la guerre à l’anse à Gilles’’ chez Duceppe saison 97-98! Ton énergie, ta passion du jeu et ton grand respect du public vont continuer de m’inspirer!», a réagi la comédienne Guylaine Tremblay.
«Sa voix, son humour, sa rigueur et son immense talent ont et continueront d’inspirer plusieurs générations d’artistes et de spectateurs», a pour sa part commenté la Place des Arts.
Le premier ministre François Legault a aussi salué l’héritage que laisse cette «grande actrice» pour la culture au Québec.
«Je me souviens de mes mardis soirs à écouter ‘‘Cré Basile’’! Elle laisse une trace indélébile dans la culture québécoise», a-t-il souligné sur le réseau social X.